par Patrick Ducher
Dans cet exposé, je me propose de vous présenter les multiples facettes que
peuvent prendre la passion pour une série télé, en l'occurrence Le Prisonnier.
Pour le profane, cette passion est un peu comme une maladie, toute proportion
gardée. Du reste, les "symptômes" sont assez similaires quelles que soient les
séries, les tranches d'âge, les catégories socio-culturelles. Elles diffèrent
simplement dans le temps et dans l'engagement qu'elles suscitent.
Au fil de nombreuses conventions ou discussions entre fans purs et durs ou
simplement sympathisants, j'ai pu ficher, classer, estampiller six (!) 6 "fan-attitudes"
à savoir 6 façons d'extérioriser leur passion pour certains, d'entretenir un
mythe pour d'autres, d'être créatifs par rapport à une œuvre télévisuelle pour
des artistes amateurs... Chaque attitude recèle ses extrêmes et certains cas
seront également évoqués. Les six types de comportements sont les suivants :
- Les écrivains
- Les artistes
- Les collectionneurs
- Les acteurs
- Les marchands
- Les animateurs
Commençons par les écrivains. J'emploie ce terme de façon générique pour désigner
toute personne disposée à l'écriture sous toutes ses formes. Il peut donc s'agir
d'écriture d'ouvrages analytiques (mémoires, thèses, exposés), d'écriture romancée
(nouvelles, voire romans entiers auto-publiés), de vulgarisation (conception
d'ouvrages explicatifs sur la production de la série, sur les produits dérivés,
sur l'histoire de la série, sur divers aspects filmiques). Un jeune fan a ainsi
soumis un mémoire de maîtrise d'anglais à l'université de Tours. Après avoir
subi les railleries de la part de ses camarades qui le taquinaient (du genre
"Passer une année à regarder des vidéos, c'est "cool", non ?" !) il a eu son
diplôme avec mention. Un autre fan a produit un mémoire de maîtrise en études
cinématographiques et audiovisuelles à l'université de Paris VIII intitulé "Le
Prisonnier, une œuvre allégorique de politique-fiction". Tout un programme.
Cette catégorie comporte également les personnes utilisant des méthodes modernes
de communications telles que le "Web authoring" c'est-à-dire l'écriture d'articles,
de billets d'humeur destinés à être diffusés exclusivement sur Internet ou bien
encore l'animation de forums de discussion ou la mise à jour de sites spécialisés.
Ces techniques sont notamment très prisées des plus jeunes fans qui n'ont pas
connu l'ère de la photocopieuse et des fanzines "papiers" traditionnels.
Par le terme "d'artistes", j'ai voulu désigner les photographes, les vidéastes,
les dessinateurs, c'est-à-dire toute personne qui travaille surtout sur la façon
de s'approprier, de déformer, de recréer les aspects visuels marquants de la
série. Nous connaissons ainsi un fan du Prisonnier qui fait le systématiquement
le voyage plusieurs fois par an au Pays de Galles pour visiter le fameux village
et y prendre pellicules sur pellicules. Il existe également de véritables metteurs
en scène amateurs qui conçoivent des mini-scénarii et dirigent des acteurs bénévoles
et consentants n'ayant pas peur du ridicule (bien souvent, tout est fait avec
un grand sens de la parodie). Le club bénéficie parfois du talent de graphistes
amateurs pour illustrer les pages de fanzines parfois phagocytés par trop de
photos ou par du texte qui semblerait aride au spectateur lambda. Là aussi,
les sauts technologiques des dix dernières années ont permis de démocratiser
la créativité grâce à des logiciels graphiques de plus en plus perfectionnés
et simples d'emploi. Citons également la seule bande dessinée sur Le Prisonnier
publiée à ce jour en France (une adaptation anglaise fut même produite par les
soins du club … français). Lors du festival d'Angoulême en 1995, c'est tout
un "Village Fanzines" qui fut créé, avec comme thème principal la série de Patrick
McGoohan. J'allais oublier dans la catégorie des artistes, les musiciens : on
ne compte plus les inspirations, et ce à toutes les sauces, du générique ou
des ambiances du Prisonnier: house pour le groupe Taboo, techno pour le groupe
Fallout, electro pour le français Bang-Bang, rock pour Spicy Box, Iron Maiden,
punk pour Ludwig von 88 et j'en oublie…
Les collectionneurs se reconnaissent aisément après 5 minutes de discussion.
Ils savent citer les références exactes des produits "marketés" par telle société
de production, tels détenteurs de licences. Ils connaissent toutes les déclinaisons
qu'il s'agisse d'éditions de livres, d'année de parution d'un CD ou d'un disque
vinyle, de séries de trading cards, etc. Ils peuvent souvent arborer un T-shirt
qu'on ne trouve pas dans le commerce. Leur habitation contient un amas d'objets
en tous genres, minutieusement classés dans des armoires de rangement pleines
à ras-bord, ou exposés avec fierté dans de larges vitrines. Les collectionneurs
peuvent se muter aussi en artistes de l'extrême, témoin cette fan britannique
qui a reconstitué l'appartement du N°6 … dans son grenier ou encore ces maquettistes
marseillais qui ont recréé la salle de contrôle du N°2 lors d'une rencontre.
On me dit que certains fans circulent même en Caterham, la voiture de sport
du N°6. On assiste aussi à des "collectionites" amusantes, comme ces fans qui
se mettent à collectionner de la poterie ou des cartes postales de Portmeirion,
la passion du Village l'ayant emporté sur celle du Prisonnier.
Les acteurs, quant à eux, sont des fans exhibitionnistes, souvent des personnalités
exubérantes qui ont le verbe haut. Elles aiment se mettre en valeur lors de
reconstitutions théâtrales de scènes de la série lors des conventions. Elles
aiment aussi toute activité participative à base de jeux de rôles ou qui nécessite
le port de costumes, le travestissement temporaire. Pour certains fans trop
zélés, la passion se vit également au quotidien dans l'apparence vestimentaire,
la coupe de cheveux, voire pour les plus extrêmes dans la diction, calquée sur
celle du héros.
Les marchands, très présents chez les Anglo-saxons, sont les cousins des collectionneurs.
Ils forment un clan à part. Moins fans qu'opportunistes, ils savent flairer
le bon moment pour proposer l'objet (statuettes, jouets, article épuisé et revendu
à prix d'or etc.) qui saura trouver une bonne place sur une étagère ou dans
une bibliothèque. Ce qui est rare est cher dit-on. Un livre d'art, précurseur
de la vague des séries cultes au début des années 90 et introuvable de nos jours
s'est vendu sur Internet pour près de 250 euros (il a trouvé preneur !). La
même clientèle est prête à payer près de 160 livres sterling pour acquérir une
trading card signée de la main du N°6.
La dernière catégorie est une race un peu hybride, puisqu'elle comprend des
individus faisant partie des cinq catégories précitées. En effet, les animateurs
de fans-clubs sont souvent passés par les étapes pré-citées avant de franchir
le pas et de proposer une approche structurée et globale à leurs camarades.
Ce sont eux qui gèrent les (maigres) finances d'un club, organisent les conventions,
coordonnent la communication, gèrent des tempéraments souvent disparates. C'est
sans doute la catégorie la plus ingrate car elle demande le plus de temps pour
un minimum de reconnaissance. Cependant, elle permet aussi de côtoyer beaucoup
de personnalités différentes et d'être toujours au courant des dernières informations
! Mais j'entends le contrôleur me souffler à l'oreille que cette catégorie d'individus
ne peut réellement exister car, pour mener un tel sacerdoce, il faut avoir été
interné au Village !
Ce classement, fichage, estampillage est peut-être subjectif, mais il est le
fruit d'une observation "sur le terrain". Il ressort que le fan éprouve presque
tout le temps le besoin de faire partager sa passion ou, pour les plus entreprenants,
de trouver un support ou une activité lui permettant de la prolonger. Les fans
se moquent souvent des carcans imposés par les limites légales. Ils aiment s'approprier
l'œuvre, la réinventer pour mieux la faire connaître ou pour simplement pour
satisfaire leur propre créativité. Mais il y a "l'être-fan" et le "paraître-fan".
Bien que la série bénéficie d'un quota de sympathie extraordinaire, peu de personnes
décident de franchir le pas qui sépare la sympathie de l'engagement réel. Car,
une fois passée et oubliée la diffusion câblée ou hertzienne, l'épreuve du temps
fait le reste, de même que le bon vouloir des programmations. Ce qui était à
la mode en 1990 ne l'est plus en 2000, ce qui l'était en 2000 ne l'est plus
en trois ans plus tard et la passion s'étiole. Et c'est là que l'on reconnaît
les "vrais fans": dans la durée et l'implication ! Rappelons que nous fêtons
en 2003 le 35ème anniversaire de la 1ère diffusion de la série en France. La
passion continue. Qui dit mieux ?